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Les Dangers de fumer au lit, Mariana Enriquez

Après Ce que nous avons perdu dans le feu (recueil de nouvelles) et Notre part de nuit (roman), Mariana Enriquez revient nous hanter avec Les Dangers de fumer au lit, recueil de nouvelles particulièrement macabre, et ce pour notre plus grand plaisir.

« Peuplées d’adolescentes rebelles, d’étranges sorcières, de fantômes à la dérive et de femmes affamées, les douze histoires qui composent ce recueil manient avec brio les codes de l’horreur, tout en apportant au genre une voix radicalement moderne et poétique. Si elle fait preuve d’une grande tendresse envers ses personnages, souvent féminins, des êtres qui souffrent, qui ont peur, qui sont opprimés, Mariana Enriquez scrute les abîmes les plus profonds de l’âme humaine, explorant de son écriture à l’extraordinaire pouvoir évocateur les voies les plus souterraines de la sexualité, du fanatisme, des obsessions. »

J’ai trouvé ce recueil encore plus macabre que les autres œuvres que j’ai lues de cette autrice. C’est un macabre qui est souvent poussé à l’extrême avec aussi la récurrence des thèmes tels que la vengeance, la souffrance, la folie aussi peut-être, la malédiction et les fantômes, notamment ceux prisonniers du monde terrestre. On retrouve des situations similaires à Ce que nous avons perdu dans le feu et toujours ce fantastique qui mêle mélancolie, rage et pouvoir. Il y a une très grande part de surnaturel ici. Et si le doute pouvait se poser dans pas mal de nouvelles de Ce que nous avons perdu dans le feu, ici j’ai beaucoup aimé le fait que le surnaturel paraisse si naturel aux personnages, tous autant qu’ils sont, en attachant particulièrement une importance à l’idée de karma. Cela fait ressortir tout le symbolisme derrière le style du texte.

Globalement, il n’y a pas une nouvelle que je n’ai pas aimé, mais j’ai particulièrement été marquée par Le caddie, Le puits, Où es-tu mon cœur ? et Viande. Le caddie a été sans doute la plus marquante. Celle dont la fin m’a fait manquer un battement. Quand j’ai lu la dernière ligne et compris de quoi il retournait, ça m’a immédiatement bouleversée et prise aux tripes. J’ai adoré cette mise en scène, et en même temps j’ai presque envie de dire que c’est l’une des pires tellement c’est sombre et horrible.  Le puits est lui aussi assez subtil, mais dans un registre un peu différent. C’est une histoire de malédiction pure et dure avec un retournement de situation traître, et touchant aux liens familiaux. Je l’ai trouvée géniale. Et c’est certainement ma préférée. Elle rassemble de nombreux éléments que j’affectionne dans les récits de ce genre. Malédiction, démons, famille, mystère, secrets et passé.

Et puis, il faut noter que les nouvelles se finissent toujours à un moment de l’histoire vraiment intéressant. Le narrateur nous apporte tous les éléments pour comprendre tout ce qu’il y a derrière son récit en nous laissant avec une fin souvent assez ouverte mais qui tout de même laisse bien sous-entendre l’issue fatale.

Quant à Où es-tu mon cœur ? et Viande, je trouve qu’elles traitent d’un sujet similaire, mais de manières très différentes. D’un côté on a une histoire autour d’un fétichisme qui se renforce de plus en plus à mesure que le personnage y laisse libre court, et ce jusqu’à l’extrême. C’est fort en sensation, avec un côté intime mais violent. Tandis qu’avec Viande, on se trouve dans le fanatisme allant jusqu’à la vénération, au divin, avec une part de rite sacrificiel. J’ai beaucoup aimé celle-ci car on nous présente les événements à rebours, comme si le narrateur préparait le terrain en conséquence de l’envergure que prennent les choses.

Pour conclure : c’est très glauque (si on doit le mesurer, à mon sens, ça reste quand même plus abordable que Le Corps exquis de Poppy Z. Brite, je vous rassure). Ça l’est clairement plus que les deux autres œuvres actuellement traduites en français de Mariana Enriquez. Mais d’un autre côté, les raisons qui se cachent derrière des thèmes et des histoires aussi terribles semblent ancrées dans la réalité de la société que connaît l’autrice que ça en devient tout de suite très intéressant et surtout poignant et émouvant.

Mariana Enriquez, c’est sombre mais beau et très riche. J’espère vraiment pouvoir découvrir le reste de son œuvre (pas encore traduite en français) et de lire encore sa plume si envoûtante.

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